21/01/2018 – L’Obs.
Elle assume sa singularité. Par petites touches, sans faire trop de bruit, Françoise Nyssen dessine sa voie. Celle d’un accueil digne des migrants, celle d’un mélange des cultures, celle d’une attention à l’Autre qu’elle a toujours défendue, et qu’elle continue à défendre maintenant qu’elle est ministre de la culture.
Il est vingt heure quinze, samedi, quand elle arrive au Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale Relais des Carrières dans le 13ème arrondissement de Paris. Ici sont accueillis 133 hommes et femmes en grande précarité dont des migrants. Ils s’y reconstruisent. Doucement. La ministre de la Culture discute avec le patron du centre. En cette “Nuit de la lecture”, Françoise Nyssen a choisi de venir découvrir ici “Mobile Home –Récits suspendus de voyageurs d’aujourd’hui “. Elle est émue, “très touchée“ par ces migrants venus du bout du monde, qui ont appris le français à travers le théâtre.
L’accueil par la culture
Ils marchent, dansent, racontent l’exil, se frappent sur le cœur. Ils viennent d’Afghanistan, d’Albanie, d’Argentine, du Bengladesh, D’Egypte, du Tibet, de Tunisie, du Soudan et jouent avec des Français. “La culture peut donner un accueil, une dignité. On partage notre culture, on peut partager la leur. Je veux redire que la culture peut donner une espérance”, confie Françoise Nyssen à l’Obs sur le chemin de la médiathèque Melleville, regarder la suite du spectacle. L’ancienne patronne d’Acte Sud, accompagnée par l’écrivain Daniel Pennac qui parraine cette Nuit de la lecture veut ramener les publics les plus éloignés : “la lecture permet de s’enrichir, de s’imaginer un avenir. J’arrive d’une librairie où les lecteurs avaient été travaillés en prison, j’irai ensuite à l’hôpital Bichat. La culture doit être là où les démunis arrivent”. François Nyssen dit aimer le mélange, les différences. Et la ministre de nous raconter sa rencontre cet été avec un jeune collégien apprenti acteur à Avignon, en marge du festival :
“Il avait 10 ans, s’appelait Nasser et m’a dit : ‘le théâtre ça redonne confiance. Et ça permet de mieux comprendre l’Autre’ “.
Ministre d’un gouvernement dont la politique d’immigration est critiquée, d’un gouvernement qui veut revenir sur l’inconditionnalité de l’accueil en centre d’hébergement, elle ne tient pas de propos fracassants pour s’en démarquer. Mais elle montre, jours après jours, qu’elle se préoccupe des migrants. Quand on lui demande quel regard elle porte sur les intellectuels qui à l’image de JMG Le Clézio ou Patrick Boucheron (avec qui elle discute souvent) se sont élevés contre la politique d’Emmanuel Macron, elle répond : “je regarde ceux qui font, ceux qui sont ici dans ce spectacle, ceux de l’Atelier en exil que je suis allée voir. Je vais à leur rencontre, la culture peut faire cela. Faisons-le”.
Une mission pour Stora
Le 16 janvier, Françoise Nyssen a confié à l’historien Benjamin Stora, président du Conseil d’orientation du Musée d’histoire de l’immigration la mission “de coordonner et d’accompagner l’action culturelle des établissements nationaux du ministère de la culture en faveur des migrants”. La lettre de mission que l’Obs s’est procurée donne trois objectifs à Stora d’ici l’été 2018 :
“Développer l’accès des migrants aux arts et à la culture, faciliter l’insertion des migrants artistes et professionnels du secteur culturel et contribuer à faire évoluer les regards de notre société sur les migrants, regards qui, parfois, fragilisent le ciment républicain”.
Au milieu du spectacle “Mobile Home”, les acteurs migrants vont à la rencontre du public. L’un d’entre eux s’approche de Françoise Nyssen, assise sagement dans la Médiathéque Melleville. “Bonsoir, je m’appelle Abdelhamid. Je suis égyptien. Demain j’ai 38 ans. J’ai voyagé à travers de nombreux pays, ma famille est encore en Egypte. J’ai choisi la France. Et toi, c’est quoi ton histoire ? “. La ministre répond de sa voix douce : “Moi, je viens de Belgique”.